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Aide juridictionnelle : la demande interrompt les délais en cassation, même formée devant un bureau incompétent

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
17/10/2023
Virage à 180° pour la jurisprudence. Sept ans plus tard, l’influence européenne est passée par là. Une demande d’aide juridictionnelle formée devant un bureau incompétent interrompt-elle tout de même les délais en cassation ? La réponse est dorénavant oui, selon un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 octobre 2023.
Le 23 octobre 2020, une justiciable s'est pourvue en cassation contre une décision rendue le 19 juin 2020 par la cour d'appel de Paris, dans une instance dirigée contre une caisse d'allocations familiales et le ministre chargé de la sécurité sociale. L’allocataire a déposé, le 18 février 2021, une demande d'aide juridictionnelle au bureau établi au siège du tribunal judiciaire de Paris qui, par décision du 22 février 2021, s'est déclaré incompétent au profit du bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation à qui la demande a été transmise. Par décision du bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation du 16 juin 2021, notifiée à l'allocataire le 16 juillet 2021, la demande a été rejetée.

Selon les termes du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991, lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir devant la Cour de cassation est déposée ou adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, ce délai est interrompu.

A contrario, les hauts magistrats estimaient jusqu’à lors que « seule la demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en matière civile devant la Cour de cassation adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près cette juridiction interrompt le délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires ; qu'un tel effet interruptif n'est attaché ni au dépôt de la demande devant un autre bureau d'aide juridictionnelle ni à la transmission de la demande par celui-ci au bureau de la Cour de cassation » (Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-16.533).

Cette période est désormais révolue.

En effet, l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais plus particulièrement de sa jurisprudence sur le droit d’accès à un tribunal, implique que « le demandeur, à qui l'aide juridictionnelle est accordée, puisse bénéficier de l'assistance effective d'un avocat pour accomplir, dans les délais impartis, les actes de la procédure ».

Ainsi, il convient à l'avenir de juger qu’une demande d'aide juridictionnelle, dès lors qu'elle est déposée ou adressée avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, même auprès d'un bureau d'aide juridictionnelle incompétent, interrompt les délais pour former un pourvoi ou déposer un mémoire.

Un nouveau délai court alors conformément à l'article 44, I, du décret précité, à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

Ce revirement fait sens pour trois raisons.

D’abord, il s’inscrit dans la logique globale de la procédure civile, et notamment de l’article 2241 du Code civil, qui pour rappel, enseigne que le délai de prescription est interrompu, y compris lorsque la demande est portée devant une juridiction incompétente.

Ensuite, cette décision s’aligne avec la position adoptée pour l’ensemble des juridictions administratives : « les demandes d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir devant une juridiction administrative interrompent le délai de recours contentieux à compter de la date à laquelle elles sont adressées à un bureau d'aide juridictionnelle, même lorsque ce bureau n'est pas compétent pour y statuer » (CE, 16 oct. 2012, n° 353255).
 
Enfin, pour les décisions de première instance en matière judiciaire, et bien que la solution mériterait d’être reformulée en des termes plus clairs, celle-ci va dans un sens similaire depuis plusieurs années déjà (Cass. 2e civ., 15 févr. 2007, n° 06-10.040).
 
Une décision somme toute pleine de cohérence.

 
Source : Actualités du droit