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La semaine du droit commercial

Affaires - Commercial
15/02/2021
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit commercial.
 Relation commerciale – rupture brutale – préavis 
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2019), par un contrat du 30 novembre 2011, la société Noël fermetures (la société Noël) a confié le transport de ses marchandises à la société Rave distribution (la société Rave).
La société Noël ayant été mise en redressement judiciaire, un jugement du 28 septembre 2012 a arrêté un plan de cession de la totalité de ses actifs à la société MAC, avec faculté pour celle-ci de se substituer sa filiale, la société Franciaflex, pour une partie d'entre eux.
Le 16 novembre 2012, un accord est intervenu entre la société Franciaflex et la société Rave sur les tarifs pouvant être appliqués par cette dernière pour la période postérieure au 1er novembre 2012.
Les négociations engagées entre les parties sur l'évolution ultérieure de ces tarifs ayant échoué, la société Franciaflex a, par une lettre du 1er août 2014, mis un terme aux relations entre les deux sociétés pour les
activités dites « de distribution » à effet au 5 septembre 2014 et, par un courriel du 24 octobre de la même année, à celles relatives tant aux activités dites « tournées », à effet la semaine suivante, qu'aux activités dites « locations exclusives », à effet au 1er décembre 2014.
S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Rave a assigné la société Franciaflex en réparation de son préjudice.

En matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties.
Après avoir constaté que le plan de cession de la société Noël ne prévoyait pas celle du fonds de commerce, seuls quelques éléments de ce fonds ayant été cédés, que le contrat conclu entre les sociétés Rave et Noël ne relevait pas de ceux repris par la société Franciaflex et que, le 16 novembre 2012, un accord était intervenu sur les tarifs de la société Rave pour la période postérieure au 1er novembre 2012, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la seconde branche, a pu retenir que la société Franciaflex n'avait pas poursuivi la relation initialement nouée avec la société Rave, même si elle était identique.
Le moyen n'est donc pas fondé. 

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par
des accords interprofessionnels.
Pour rejeter la demande de la société Rave, l'arrêt, après avoir constaté que, pour l'activité « tournées », la rupture avait été notifiée le 24 octobre 2014 pour prendre effet le 3 novembre suivant, retient que, pour une relation commerciale d'une durée de deux années seulement et eu égard à l'activité en cause, le préavis d'un mois mis en oeuvre pour les activités « affrètement » et « locations exclusives » apparaît d'une durée suffisante.
En se déterminant ainsi, sans préciser la raison pour laquelle la durée d'une semaine du préavis notifié pour l'activité « tournées » était suffisante, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision 
».
Cass. com., 10 févr. 2021, n° 19-15.369, P *


Relation commerciale - rupture brutale - interruption de mission - clause
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2018), la société SMI a, par lettre de mission du 20 octobre 2006, confié à la société Audit gestion social comptabilité (la société AGSC) la tenue de sa comptabilité, ce qui comprenait notamment l'établissement de ses comptes annuels et de ses bulletins de salaires.
Le 3 mars 2011, la société SMI a décidé d'embaucher un comptable et réduit les tâches confiées à la société AGSC.
La société SMI ayant, par lettre du 31 juillet 2012, résilié le contrat la liant à la société AGSC, celle-ci l'a assignée en paiement d'une indemnité de résiliation contractuelle, de factures au titre de prestations impayées et de diverses sommes en réparation des préjudices causés par le retrait de sa mission et la rupture brutale d'une relation commerciale établie. 

En premier lieu, il résulte de l'article 22 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, modifiée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, que l'activité d'expert-comptable est incompatible avec toute activité commerciale ou acte d'intermédiaire, à l'exception de ceux répondant à la double condition d'être réalisés à titre accessoire et de ne pas mettre en péril les règles d'indépendance et de déontologie de la profession. Ce texte précise que les conditions et limites à l'exercice de ces activités et à la réalisation de ces actes seront fixées par les normes professionnelles élaborées par le conseil supérieur de l'ordre et agréées par arrêté du ministre chargé de l'économie. En l'absence de publication de cette norme, et faute pour la société AGSC d'avoir établi que les prestations de services dont elle reprochait à la société SMI l'interruption brutale étaient accessoires à sa mission d'expert-comptable et de nature commerciale, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2019-359 du 24 avril 2019, n'étaient pas applicables aux relations ayant existé entre la société SMI et la société AGSC.
En second lieu, le rejet du grief de la première branche rend inopérants ceux des deuxième et troisième branches.
Le moyen n'est donc pas fondé. 

Après avoir relevé que le retrait de la mission de la société AGSC portant sur la tenue de la comptabilité de la société SMI et l'établissement de ses comptes annuels n'était intervenu qu'à compter du 1er avril 2012 et que le retrait progressif de ses autres missions n'avait fait l'objet d'aucune contestation de sa part, ni en avril 2011, ni en janvier et avril 2012, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause que la cour d'appel a déduit de l'absence de protestation de la société AGSC, tandis que le contrat avait, pour certaines tâches résiduelles, continué d'être exécuté, que cette pratique traduisait la volonté commune des parties, qui avaient ainsi tiré ensemble les conséquences des nombreuses fautes et erreurs commises par l'expert-comptable, et relevées par l'expert judiciaire.
Le moyen n'est donc pas fondé.

D'une part, après avoir, par motifs adoptés, relevé que l'article 7 des conditions générales annexées à la lettre de mission du 20 octobre 2006 prévoyaient qu'en cas de paiement tardif des factures d'honoraires de la société AGSC, un intérêt de retard de 1,75 % par mois s'appliquerait, l'arrêt retient que ce taux est particulièrement élevé puisqu'il se rapproche du taux de l'usure, ce dont il résulte que ces intérêts moratoires avaient pour objet,
non seulement d'indemniser de manière forfaitaire et anticipée le préjudice causé à la société AGSC par le non-respect du délai de paiement convenu, mais aussi de contraindre la société SMI à exécuter ponctuellement ses
obligations. Ayant ainsi caractérisé le caractère à la fois indemnitaire et comminatoire de ces stipulations, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'elles devaient s'analyser en une clause pénale.
D'autre part, le juge qui, sur le fondement de l'article 1152 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, décide de modérer la peine convenue par une clause pénale si elle est manifestement excessive peut, lorsque cette clause porte sur des intérêts moratoires, modifier tant le taux que le point de départ de ces intérêts. Le grief de la seconde branche procède donc d'un postulat erroné.
Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.
Pour dire que la société AGSC a été régulièrement informée de l'interruption de sa mission, trois mois avant la fin de celle-ci, l'arrêt retient que si la société SMI n'a pas formellement adressé une lettre recommandée à la société AGSC, comme le prévoyaient les conditions générales annexées à la lettre de mission, il ressort des pièces produites aux débats que celle-ci, ne réalisant que des missions résiduelles depuis le 1er janvier 2012, non seulement ne l'ignorait pas mais l'avait accepté et qu'elle avait été informée du retrait de sa dernière mission, par le fait que l'établissement des comptes 2011/2012 par le nouvel expert-comptable signifiait que le contrat allait être résilié dès la finalisation de cette dernière mission.
En statuant ainsi, alors que la lettre de mission signée par la société AGSC stipulait expressément que la société SMI ne pouvait interrompre la mission en cours qu'après en avoir informé l'expert-comptable, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, trois mois avant la date de cessation, faute de quoi il devrait lui verser une indemnité égale à 25 % des honoraires pour l'exercice en cours, la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer cette clause contractuelle, a violé le texte susvisé
 ».
Cass. com., 10 févr. 2021, n° 19-10.306, P *


*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 15 mars 2021
Source : Actualités du droit